Bois Braconné: Crise du bois rose au Mali et opportunité unique pour une solution régionale
Washington, DC – Alors que le Secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) délibère sur une interdiction du commerce régional qui mettrait fin à ce qui est sans doute la violation la plus éhontée de la Convention, une nouvelle enquête de l’Agence d’Investigation Environnementale (EIA) montre comment le commerce illégal et non durable du bois rose du Mali a alimenté la corruption, fait pression sur les communautés et les militants, et a été utilisé pour faciliter le trafic d’ivoire entre l’Afrique de l’Ouest et la Chine.
La crise du bois rose a dévasté les forêts d’Afrique de l’Ouest et ses habitants pendant près d’une décennie. Les rapports de l’EIA sur le Nigeria, le Ghana, la Guinée-Bissau et la Gambie ont montré comment le commerce illégal et non durable de Pterocarpus erinaceus a persisté malgré son inscription à l’annexe II de la CITES, entrée en vigueur il y a plus de cinq ans, le 2 janvier 2017. Des recherches approfondies indiquent que la plupart, voire la totalité, du commerce de Pterocarpus erinaceus de l’Afrique de l’Ouest vers l’Asie a eu lieu en violation de la Convention. Selon l’analyse de l’EIA, en avril 2022, cela représente un total de plus de 3 millions de tonnes et plus de 2 milliards de dollars de bois rose commercialisé illégalement entre l’Afrique de l’Ouest et la Chine.
En mars 2022, des mesures sans précédent ont été prises dans le cadre de la CITES lors de la 74ème réunion du Comité permanent, en réponse à la demande des pays d’Afrique de l’Ouest. En raison du commerce illégal continu et omniprésent de Pterocarpus erinaceus, une procédure de conformité accélérée a été déclenchée. Les pays avaient jusqu’au 27 avril pour soit démontrer que leurs exportations sont légales et durables, soit fixer un quota de zéro exportation. Si les pays ne le font pas, ils seront confrontés à une suspension du commerce afin de garantir la durabilité et la viabilité des arbres restants.
Au moment de cette publication, la date limite de soumission des informations par les pays est passée et les informations soumises sont en cours d’examen par le Secrétariat de la CITES et les présidents du Comité permanent et du Comité des plantes. L’examen en cours et la décision qui devrait être rendue publique dans les semaines à venir sont très importants. Raphaël Edou, responsable du programme Afrique pour les campagnes forestières de l’EIA, explique : “Plusieurs nations d’Afrique de l’Ouest ont montré au monde qu’elles sont sérieuses quant à la protection des moyens de subsistance de leur population, des forêts vulnérables et de notre avenir commun, malgré les incroyables défis socio-économiques auxquels elles sont actuellement confrontées. J’espère que cette leçon sera entendue par les pays du Nord”.
Les nouvelles conclusions de l’EIA, présentées dans le rapport Bois Braconné, soulignent l’importance et l’urgence d’une solution régionale à la crise du bois rose. Le rapport se concentre sur le Mali, un pays qui a fait face à deux coups d’État depuis juin 2020 et à une insurrection djihadiste. Les enquêteurs de l’EIA ont constaté que les réseaux de trafiquants se sont profondément enracinés dans le pays. Le commerce illégal et non durable semble être la norme plutôt que l’exception. Les conclusions de l’EIA indiquent également que des permis d’exportation CITES non valides (auxquels manquent certaines informations essentielles) ont été couramment utilisés pour exporter du bois rose du Mali vers la Chine. Le commerce illégal de bois rose a également été un canal pour le trafic d’ivoire, facilitant notamment la contrebande de défenses d’éléphants du Gourma (Loxodonta africana) vers la Chine. Les populations d’éléphants du Gourma ont été décrites comme étant au bord de l’anéantissement. Selon le rapport de l’EIA, la violation de la loi malienne, qui interdit notamment l’exportation de grumes de Pterocarpus erinaceus, s’est prétendument appuyée sur des pratiques de corruption bien huilées qui impliqueraient des membres du ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable et de l’administration forestière.
Le leadership des pays d’Afrique de l’Ouest et la dynamique de la CITES ont conduit AP Moller-Maersk, la plus grande compagnie maritime du monde, à prendre un double engagement immédiat : cesser de transporter les cargaisons de Pterocarpus erinaceus depuis le Mali et soutenir l’éventuelle interdiction régionale par des efforts accrus de diligence raisonnable. L’EIA attend avec impatience que la Mediterranean Shipping Company (MSC) et la Compagnie Maritime d’Affrètement-Compagnie Générale Maritime (CMA-CGM), les deux autres grandes compagnies qui seraient impliquées dans le transport de cargaisons de bois illégal en provenance du Mali, se joignent à cet effort.
Seul un front uni des pays d’Afrique de l’Ouest, de la Chine, des institutions internationales et des compagnies maritimes pourra vaincre l’un des plus puissants réseaux de trafic forestier de la planète.